Brouiller les pistes, agencer les indices, dérouter le spectateur : ce sont des procédés que la chorégraphe aime par-dessus tout. Aringa Rossa le pousse peut-être à l’extrême, empruntant son nom - Red Hering, Hareng rouge - à une technique narrative du cinéma qui consiste à truffer le récit de fausses pistes. Ainsi harponné, le spectateur s’attache à un geste, guette un personnage, une situation, alors qu’il aurait peut-être du regarder ailleurs.
Cette pièce pour neuf danseurs et danseuses prend des allures de polar en truffée de faux chemins et de culs de sac narratifs. Les actions du quotidien teintées d’absurdité - un coup de téléphone, une chanson - rythment une pièce qui alterne entre scènes de ballets, fragments dialogués, jeux de mots et de situations, jeux tout court. Et l’effet de groupe et du nombre ne fait qu’accentuer le plaisir de la chorégraphe dans ce jeu de répétitions et de reconfigurations incessantes. « Ces pistes sont comme des signes qui reviennent, des fils qui se tissent, des couches d’indices qui finissent par rentrer dans une sorte de petit scénario. Mais plutôt que d’une narration, je parlerais de situation ; en racontant tout et rien à la fois, ces formes éparses disent surtout quelque chose de la condition humaine. » explique-t-elle.
Dans cette pièce le montage musical d’Igor Sciavolino, fait de fragments de vie, de bruits et de musique de grands compositeurs (Monteverdi, Stravinski, Amodei)… joue un grand rôle dans cet agencement entre composition plastique et sculpturale des corps, entre danse et théâtre.
Création Biennale de la danse de Lyon le 27 septembre 2014
Chorégraphie Ambra Senatore
Sur scène Caterina Basso, Romain Bertet, François Brice, Claudia Catarzi, Matteo Ceccarelli, Pieradolfo Ciulli, Elisa Ferrari, Simona Rossi, Ambra Senatore
Assistants chorégaphiques Aline Braz Da Silva, Tommaso Monza
Lumières Fausto Bonvini
Conception sonore Igor Sciavolino, Ambra Senatore
Musiques Igor Sciavolino, Claudio Monteverdi, Igor Stravinsky, Fausto Amodei, Caravan Palace, Brian Bellott
Costumes Roberta Vacchetta assistée de Augusta Tibaldeschi
Production déléguée CCN de Nantes
Production EDA, ALDES
Co-production Biennale de la Danse de Lyon, Théâtre de la Ville-Paris, Scène Nationale de Besançon, MC2: Grenoble, Torinodanza festival e Fondazione del Teatro Stabile di Torino, ALDES, L’Arc Scène Nationale du Creusot, Centre culturel André Malraux, Scène Nationale de Vandoeuvre-Lès-Nancy, Théâtre Louis Aragon - Tremblay-en-France, Château Rouge-Annemasse, Le Phare CCN du Havre Haute-Normandie, Ballet de l’Opéra National du Rhin-CCN de Mulhouse, La Comédie de Valence -CDN Drôme-Ardèche
Soutiens DSN Dieppe Scène Nationale, Ministère de la culture et de la communication DRAC Franche-Comté - Aide au projet 2014, Région Franche-Comté, Conseil Général du Doubs et La Saline Royale d’Arc-et-Senans, MIBACT-MINISTERO per i Beni e le Attività Culturali e del turismo/Direz. Generale per lo spettacolo dal vivo, REGIONE TOSCANA/Sistema Regionale dello Spettacolo
Captation réalisée par Fabio Melotti au Théâtre de la Ville - Paris, le 11 février 2015
L'œil de la critique
Le jeu en vaut la peine : des scènes théâtrales triturées, bidouillées, dupliquées à la chaîne et rembobinées, des effets visuels de bugs informatiques ou de mauvaise connexion réseau, une écriture comme soumise aux logiques du traitement de texte (des segments copiés-collés, coupés-collés). Soit une composition à fort capital burlesque, qui rappelle les procédés de collages surréalistes ou, plus récemment, les principes du mash-up qui se démocratisent avec les outils technologiques.
(…) L’art d’Ambra Senatore prend une autre ampleur avec cette pièce en forme de cadavre exquis (son principe de composition favori), où semblent coexister la tête de Raymond Queneau (pour les jeux scénaristiques), le tronc de Pina Bausch ou d’Alain Platel (pour l’expressionnisme et le genre danse-théâtre) et les jambes de la postmodern dance (pour la façon de chorégraphier des actions quotidiennes). Irruption du merveilleux, de l’absurde, du non-sens dans le quotidien, indécision constante entre réalité et fiction, impasses, cul-de-sac, suspense et paradoxes… Aringa Rossa possède une inquiétante étrangeté qui fait définitivement d’elle une chorégraphie fantastique. Dans tous les sens du terme. »
Ève Beauvallet, Libération, 12 février 2015
« Soit neuf danseurs. La chorégraphe leur confie l'art de la fugue. L'un fait un mouvement, par exemple celui de cueillir un fruit en haut d'un arbre, l'autre le répercute sur un autre mode, en contrepoint. Le groupe se fait grappe, construite et mouvante. Un autre jeu s'esquisse aussitôt : celui du 1, 2, 3, soleil.
Les danseurs prennent la diagonale et s'immobilisent tous ensemble. Figures suspendues, dessinant différents bouquets de corps, qui se mettent en ronde, puis en colonne pour une marche où quelques-uns disparaissent en coulisse dans un grand fracas de corps. »
Ariane Bavelier, Le Figaro, 20/02/2015